L'image d'un pays, c'est ce que l'on entend dire, c’est ce que l'on retient au détour d’une image, c’est ce que l'on capte au hasard d'une conversation, c'est ce que l’on entend à la radio, c'est ce qu'on lit dans les journaux, mais aussi et surtout ce que l'on voit à la télévision et de plus en plus sur internet.
Cette vision, malgré tout, reste parcellaire car elle manque, à n'en pas douter, de profondeur, mais demeure cependant redoutable. Pour une des rares fois que le Sénégal eut les honneurs de la télévision en France, ce ne fut pas à son avantage. De quoi s'agit-il ? Un travail de pro, une enquête réalisée par nos confrères de la chaîne de télévision M6, sur place, au Sénégal sur un phénomène planétaire, “le tourisme sexuel” pratiqué par ce que j'appellerai des prédateurs venus des pays riches pour s'offrir des plaisirs interdits chez eux.
Le reportage a été diffusé dans le cadre d'une émission intitulée fort justement “ça me révolte”. Il faut dire, cependant, que dans cette affaire M6 n’est absolument pas mise en cause. Nos confrères ont fait un véritable travail d'investigation pour dénoncer ce fléau. Ce qui est en cause, en revanche, hélas pour le Sénégal, c'est l'image que véhicule le sujet qui ne milite pas en faveur du Sénégal. Ce reportage ternit “le blason” touristique du pays qui, depuis les années 1970, s'est lancé dans la promotion d'un tourisme de masse, politique inaugurée dès l’origine par la création, à deux fois, d'un secrétariat d'Etat et, ensuite, par des ministères pleins. Le point d'orgue de cette politique a été l'ouverture du Club Med au Cap Skirring, dans notre belle région de Casamance.
A l'époque, dans un article paru dans l'hebdomadaire “Jeune Afrique, je dénonçais déjà cette politique touristique qui consiste partout où elle est mise en oeuvre à abandonner aux industriels du tourisme les plus beaux sites d'un pays.
Ces sites sont aussitôt transformés en de véritables enclaves, interdites aux populations autochtones, non pas par les propriétaires eux-mêmes, mais du fait de leur faible pouvoir d'achat, le séjour dans ces “paradis tropicaux” leur reste inaccessible.
Dans ces enclaves, le touriste vit en autarcie, de son arrivée à son départ, ne consommant quasiment que des produits importés et n'entretenant de contact qu'en de très rares occasions avec les habitants du pays qu'il est censé visiter.
Mais, hélas, ce n'est pas que cela. La face cachée du tourisme de masse est la recherche de plaisirs interdits. Les touristes, par vagues, arrivent dans les pays de l'hémisphère sud et envahissent les plages et les rues avec pour seul objectif la satisfaction de fantasmes. Certains sont prêts à tout afin de pouvoir s'adonner à des pratiques sexuelles qui les mèneraient directement en prison, dans leurs propres pays. Cette politique touristique risque malheureusement, si l'on n'y prend pas garde, de faire de certains d'entre ces pays du sud des bordels du nord”.
Au vu de ce document diffusé mercredi soir, 7 mai 2003 sur M6 en prime time (c’est-à-dire en début de soirée), à une heure de grande écoute, on éprouve un profond malaise. On se dit alors que le Sénégal est, peut-être, je ne crains pas de le dire, en voie de “bordélisation” comme le fut, en son temps, la Thaïlande.
Si l'on ne met pas un coup d'arrêt rapidement à cette politique touristique, dont le maître mot est le profit, on risque de sacrifier des générations de Sénégalais sur l'autel de la prostitution et du dévergondage.
Le document de M6 met en scène de jeunes sénégalais âgés de 12 à 13 ans, chaperonnés par un adulte qui écume les plages, notamment celle de Saly-Portudal, à la recherche de pédophiles adeptes du tourisme sexuel. Dans ce document, on voit l'auteur du reportage, faux touriste pour l'occasion, se faire aborder par le souteneur auprès duquel accourent quelques adolescents dépenaillés, suit après un “marchandage” sur les capacités de l'horrible personnage, apparemment un rabatteur professionnel.
Ce bref aperçu permet de dire que le mal est là. Est-ce qu'il est profond ? Je ne saurais le dire, n'étant pas sur place. En tout cas, pour l'étranger lambda qui voit ces images, le Sénégal apparaît comme le pays où sévit le tourisme sexuel.
Comment en est-on arrivé là ? Le tourisme est sans doute une des principales sources de revenus du Sénégal, mais ce n'est pas une raison pour vendre son âme au diable. Les solutions existent pour faire face à ce fléau qu'est le tourisme sexuel qui touche l'Asie, l’Afrique, l’Amérique Latine.
Il faut repenser de fond en comble la politique touristique du pays léguée par le régime précédent, mettre au centre de cette politique la sécurité, l'hygiène et surtout l'image du pays qu'il faut avant tout valoriser. Premier atout, depuis l'élection présidentielle de mars 2000, le Sénégal est devenu une véritable démocratie et donc un Etat de droit. Deuxième élément positif, ce pays connaît depuis son indépendance la stabilité politique et ce, en dépit d'un parti unique qui a gouverné de 1960 à 1973.
Enfin, last but not least, l'hospitalité des Sénégalais n'est plus à démontrer et l'équipée glorieuse de nos “Lions” en Asie a donné au mot “Téranga” une résonance universelle. Reste que la politique touristique d'un pays n'est pas seulement l'affaire du gouvernement.
Le tourisme sexuel se nourrit de la présence permanente dans les rues et les plages d'adolescents, ceux que l'on appelle fort communément “les enfants des rues”. Qui sont-ils ? Ils sont, pour la plupart, comme l'on dit chez nous, des “Talibés”, des enfants équipés d'un pot, envoyés par leurs “marabouts” et qui, du matin au soir, tendent la main aux touristes dans la rue, devant les hôtels, sur les plages, en quête d'argent.
Il existe une autre catégorie d'enfants qui partent des campagnes vers la capitale, qui sont parfois accompagnés de leurs parents auxquels ils rapportent en fin de journée quelques pièces de monnaie, lesquels parents ferment les yeux sur ce manège et ne posent aucune question sur la provenance de l'argent.
Le tourisme sexuel se nourrit aussi de la prostitution clandestine qui touche des femmes mariées, des lycéennes et des étudiantes qui, nourries par l'appât du gain, se livrent aux touristes moyennant finance avec, parfois, la complicité tacite des familles.
Les données sont là. Il appartient à ceux qui sont responsables de la politique touristique de ce pays de réfléchir, avec les chefs religieux, les maires, les responsables des quartiers et les familles pour qu'ensemble ils trouvent les moyens, tout en favorisant le tourisme dans notre pays, de veiller à ce que la dignité du Sénégalais ne soit jetée en pâture devant la recherche effrénée du profit, au risque de ternir à jamais l'image du Sénégal.
Le Soleil - 12.06.03
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