PORTRAIT -
Il a encore remis çà. A Genève, durant la conférence de « Durban II », le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a qualifié Israël d’Etat « raciste ». Ce qui a provoqué l’ire des Occidentaux. Les Etats-Unis, l’Union européenne, les Nations Unies ou encore le Vatican ont « déploré l’utilisation de cette plate-forme par le président iranien pour mettre en accusation, diviser et même provoquer ». Pour mieux comprendre ce président énigmatique, voici son portrait sans modèle.
On l’aime ou on le déteste. Mais, c’est moins une préoccupation pour lui qu’une tasse de thé. Mahmoud Ahmadinejad fonce toujours. Il tient à ses convictions comme le ferait un néo-converti. Sur l’international, ses sorties sont remarquées, en témoigne celle de cette semaine à Genève quand il a qualifié Israël d’Etat « raciste ». C’est parce qu’il dit ce qu’il pense sans faire dans la langue de bois. Ça, ce n’est surtout pas son registre. Lui, c’est quelqu’un qui affiche ses amitiés, mais aussi ses inimitiés. Au vu et au su de tous. Il a crié sous tous les cieux, dans tous les fora et sur toutes les tribunes son amitié avec Hugo Chavez et le Venezuela, les frères Fidel et Raoul Castro de Cuba, mais aussi tous les régimes gauchisants d’Amérique latine et du tiers monde. Plusieurs traits communs sont à noter sur ces amitiés à la carte : des pays du Sud qui font difficilement face au capitalisme ou n’étant pas du tout en odeur de sainteté avec les Etats-Unis d’Amérique.
Les relations diplomatiques entre ce pays et le sien sont rompues à la suite de l’affaire de la prise d’otages des 444 jours à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran dont lui, leader estudiantin, serait un des initiateurs. Il a, plus tard, tenté de les rétablir. C’était en mai 2006, quand il envoyait une lettre au gouvernement américain. Le président de l’époque, Georges Bush, avait choisi de ne pas lui répondre officiellement ; lui reprochant son caractère uniquement « philosophique » et qualifiant au passage les forces iraniennes au pouvoir de « petite élite cléricale qui isole et opprime son peuple ». Ahmadinejad, connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, répond : « dans un avenir proche, nous allons vous juger devant le tribunal des peuples (...) Ceux qui ont jusqu’au coude, les mains dans le sang des peuples qui sont impliqués partout où il y a des guerres et l’oppression, qui déclenchent des guerres en Asie et en Afrique, qui tuent des gens par millions (...) Vous qui soutenez les crimes du régime fantoche sioniste, vous qui soutenez la destruction des maisons des Palestiniens, (...) vous n’êtes pas qualifiés pour parler des droits de l’Homme et des libertés ».
Bush, c’est connu de tous, était l’ennemi juré de ce conservateur pur et dur. En octobre 2005, il a, dans un discours sur le droit d’existence de l’Etat d’Israël, déclaré qu’« Israël doit être rayé de la carte ». Les raison avancées ? Pour lui, « le régime sioniste se comporte comme Hitler ». Il renouvelait son adhésion aux propos de l’Ayatollah Khomeini selon qui « ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps ». Il est toujours intraitable. On le voit condamner le conflit israélo-libanais, se réjouir de l’imminence de la mort d’Ariel Sharon, soutenir que « ce sont les Européens qui ont pris la responsabilité de l’holocauste » ou des propos du genre « ceux qui se tiennent aux côtés du régime sioniste s’exposent à la colère du monde ». Il a soutenu aussi le Hamas pendant la guerre de Gaza et a défié une énième fois le monde et l’Agence internationale de l’énergie atomique pour doter son pays du nucléaire civil. Faisant sienne l’idée selon laquelle « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », Ahmadinejad essaie de renforcer ses relations avec la Russie. C’est ainsi qu’il a mis en place un bureau spécialement à cet effet. Il a travaillé avec Vladimir Poutine sur la question nucléaire.
Une planification aux facettes multiples pour accéder à la magistrature suprême
D’où est-ce que Ahmadinejad tient son caractère de fonceur qui lui tient à la peau ? Cet homme, né le 28 octobre1956 à Aradann, un village près de Garmsar, une bourgade situé à 90 kilomètres de Téhéran, est issu d’une famille modeste. Il est le quatrième enfant d’une fratrie de sept. Son père était forgeron lorsque la famille a déménagé à Téhéran, après avoir exercé les métiers d’épicier et de coiffeur. Le déménagement de la famille à Téhéran coïncide avec le changement de leur nom de famille qui était à l’origine Saborjhian, selon Hussein D. Hassan ou Sabarian, selon Vincent Hugueux. Les Ahmadinejad emportant avec eux, à Téhéran, l’islam traditionnel des campagnes iraniennes et le conservatisme qui l’accompagne.Abbas Milani soutient que les parents du jeune Ahmadinejad participaient régulièrement aux événements organisés par les organisations religieuses de quartier, et leur fils mettait un zèle tout particulier à l’apprentissage du Coran et à l’accomplissement des devoirs religieux.
À cette époque, le « mahdisme » a connu un renouveau dans les milieux populaires, sous l’impulsion des « Hojjatieh ». Cette secte, fondée en 1953, fut, selon Michel Taubmann, condamnée pour hérésie par le clergé chiite. En rupture avec l’interprétation majoritaire, les Hojjatieh considèrent, en effet, que les croyants, loin d’apprendre passivement, doivent au contraire hâter le retour du Madhi [messie] en précipitant le monde dans l’apocalypse ». Selon toujours Taubmann, on retrouve des membres des Hojjatieh dans l’entourage d’Ahmadinejad, après son accession à la présidence et que lui même reprend leurs thèse. Sa date de naissance fait de lui un scorpion. Les personnes qui ont ce signe zodiacal sont souvent « très énergiques, passionnées et émotives. Ce sont des extrêmes. », apprend-on avec les astrologues.
Cet ancien de l’université de science et de technologie (Elm-o Sanaat) est membre de la Société islamique des ingénieurs, mais possède une base plus puissante dans l’Alliance des bâtisseurs de l’Iran islamique (Abadgaran), militait en faveur d’une conception stricte de la « foi islamique » la seule qui, à ses yeux, puisse créer un élan révolutionnaire ». En 1978, « Ahmadinejad participe à la fondation d’une association islamique des étudiants d’Elm-o Sanaat. Peu après, celle-ci se coalise avec d’autres associations pour former l’Organisation des associations islamiques (...) qui sera connue sous le nom d’Osu. Ahmadinejad fait partie du Conseil central de cinq membres qui dirigent l’Osu. » Hassan Daioleslam se souvient : « Dans les universités, les partisans de Khomeyni, dont Ahmadinejad faisait partie, compensaient leur impopularité croissante par le recours à la violence. Ils faisaient la chasse aux femmes qui ne portaient pas de tchador, ils leur interdisaient l’accès aux cours. ». Ahmadinejad représente alors le pouvoir clérical dans l’université, avec Mojtaba Hachemi-Samareh, qui l’accompagnera durant toute sa carrière, en tant que conseiller ou chargé de missions spéciales.
Un an avant la guerre Iran-Irak, il obtient à 31 ans, un doctorat en ingénierie des transports publics. C’était en 1987. Selon Hussein Hassan, Ahmadinejad aurait été instructeur au sein de l’organisation des Basij, un mouvement de masse dont les jeunes membres avaient été préparés à mourir en martyrs pour le nouveau régime. À la fin de la guerre contre l’Irak, les gardes de la révolution et les Basij qui sont démobilisés sont choqués par la corruption de certains leaders. Les plus dévots parmi eux, dont fait partie Ahmadinejad, planifient alors un retour aux valeurs des premiers jours de la révolution. Mahmoud Ahmadinejad devient gouverneur des villes de Maku et de Khoy, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental. Il est nommé gouverneur général de la province d’Ardabil. Il sera élu trois années de suite meilleur gouverneur d’Iran. C’est pendant ces moments qu’il s’investit dans l’organisation du Ansar-e Hezbollah, une milice islamique radicale. Il sera relevé de ses fonctions en 1997, avec l’arrivée au pouvoir du réformateur Mohammad Khatami. Il repart enseigner à l’université de science et de technologie. Il profite du mouvement de mécontentement envers le mouvement de réforme et se fait élire, en 2003, maire de Téhéran par un conseil municipal dominé numériquement par la très conservatrice Coalition des développeurs d’un Iran islamique. Il se sert de sa position pour développer un réseau fort de fondamentalistes membres de la Coalition des développeurs d’un Iran islamique. Il veut opérer un retour en arrière sur les réformes libérales du président Khatami, se positionnant comme le leader d’un seconde révolution islamique, qui vise à éradiquer la corruption et les influences occidentales de la société iranienne. Ce monogame et père de deux garçons et d’une fille se positionne comme le représentant des déshérités et de tous ceux qui ont perdu leurs illusions à cause du fossé grandissant entre riches et pauvres, de la perte des valeurs islamiques pour accéder à la magistrature suprême. En juin 2005, il arrive, de manière inattendue, en deuxième position avec 19,4 % des voix derrière l’ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani qui obtient 21,1 % des voix. Au second tour de la présidentielle, le 24 juin, il l’emporte largement avec 61,69 % des voix contre 35,93 % à Rafsandjani.
Pour certains observateurs de la vie politique iranienne, l’élection d’Ahmadinejad à la présidence de la République islamique d’Iran n’est pas un accident, mais « le résultat de deux ans de planification compliquée et aux facettes multiples » par une coalition qui inclut des Commandants des gardiens de la révolution, des représentants du clergé, des dirigeants du mouvement Basij et les amis et alliés qu’Ahmadinejad s’est fait pendant son mandat à la mairie de Téhéran, mais aussi le soutien apporté par le guide de la révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei, l’homme fort du pays, successeur de Rouhollah Khomeini.
Par Aly DIOUF
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